MAKER LENS – Synthèse de l’enquête terrain et personas

Envoyé par le 14 Nov 2025

Auteurs : Bérénice CARDOSO-FAUCHER, Pol TYMEN, Lucas REIS OLIVER, Divine BANON, Alex PEIRANO et Marc DUBOC — Contact : berenice.cardoso-faucher@imt-atlantique.net

 

PARTIE 1 : Synthèse de l’enquête terrain

 

1. Problématique et hypothèses

 

Problématique

Comment accompagner les médiateurs du low-tech dans leur mission de sensibilisation à l’approche frugale ?

Après notre premier article consacré à l’état de l’art, nous avions d’abord orienté notre réflexion vers les freins d’image et de diffusion du low-tech auprès du grand public.

Mais au fil de nos entretiens et de nos recherches, une autre réalité est apparue : ce ne sont pas seulement les utilisateurs finaux qu’il faut comprendre, mais surtout celles et ceux qui leur transmettent la démarche. Ce constat nous a conduits à reformuler notre problématique autour des médiateurs du low-tech (fab managers, enseignants, associations) dont le rôle s’avère essentiel pour rendre l’approche frugale accessible, concrète et désirable.

 

Hypothèses de travail

Nos deux hypothèses initiales :

  • H1. L’image de la low-tech freine l’adhésion (associée à un univers militant / “retour en arrière”).
  • H2. Les ressources existent mais manquent d’attractivité, de clarté et de contextualisation pour des publics variés.

Hypothèses formulées après un certain nombre d’entretien :

  • H3. Les médiateurs peinent à adapter ateliers et supports à l’hétérogénéité des publics (âges, prérequis, équipements).
  • H4. L’apprentissage low-tech prend du temps et nécessite une pratique guidée (paliers, retours d’expérience, essais-erreurs).

 

2. Cartographie des parties prenantes

Nos entretiens confirment la richesse de l’écosystème low-tech et la complémentarité des acteurs. Cette cartographie distingue clairement les médiateurs, cœur de notre recherche, des publics sensibilisés et des structures de soutien.

Type de partie prenante Rôle Besoins identifiés Exemples rencontrés
Médiateurs (cible directe) Transmettre, animer, adapter la démarche low-tech Ressources simples et visuelles, gain de temps, niveaux de difficulté, sécurité Fab Managers (Claire Morvan), enseignants (Pierre Lemoal), associations (Petits Débrouillards)
Publics sensibilisés (impact indirect) Apprendre, réparer, fabriquer Tutoriels accessibles, projets courts, estimation honnête (temps/coût/outils) Étudiants, cadres, débutants et “initiés”

Non rencontrés : des employés, ouvriers, des familles, des personnes agées etc

Structures d’appui Héberger, financer, coordonner, valoriser Mesure d’impact, mutualisation, passerelles pédagogiques IMT, UBO, incubateurs, collectivités
Communautés & wikis Documenter, partager, fiabiliser Interfaces intuitives, données comparables, contributions guidées Low-Tech Lab Brest, UBO Open Factory, wikis (comme lowtechlab.org)

 

3. Méthodologie

Entre le 13/09 et le 15/10/2025, nous avons conduit 10 entretiens (présentiel / visio / téléphone), dont deux lors de portes ouvertes, avec des profils variés (fablab, enseignement, association, incubation, recherche). Afin de respecter les positions des personnes interrogées, la liste est anonymisée. Les verbatims sont eux retranscrits le plus fidèlement possible (sans reformulation).

Les acteurs surlignés en bleu sont ceux dont les entretiens ont été les plus significatifs, leur verbatims sont donc détaillés dans la partie suivante.

 Tableau récapitulatif des interviews

Les acteurs Leurs métier
Claire Morvan Responsable FabLab et médiation scientifique à l’IMT
Luc Morel  Permanent des petits débrouillards
Hélène Garin Directrice des « Petits Débrouillards »
Pierre Lemoal Enseignant de Technologie et Philosophie au Collège François Collobert (près de Châteaulin)
Sabine Corlay Chargée enseignements Innovation & Entrepreneuriat
Julie Aubry Coopération territorial, Low Tech et nouveaux imaginaires (Low Tech Lab)
Emmanuel Dubreuil Responsable Incubateur & développement de projets (Fondation Explore), ancien président du Low-Tech Lab
Thomas Rivière Membre du Low Tech Lab de Brest
Antoine Séveno Fondateur Electrobox
Tom Le Bihan et Gwen Martin Docteurs à l’UBO Open Factory

 

4. Entretiens détaillés (profils clés)

a. Claire Morvan (Responsable FabLab et médiation scientifique à l’IMT)

Contexte

Responsable du FabLab de l’IMT Atlantique, Claire Morvan anime des activités de médiation scientifique autour des sciences participatives et notamment du low-tech. Son approche croise expérimentation technique et pédagogie : ateliers, inter semestres, projets étudiants, ceux-ci étant parfois en partenariat avec le Low-Tech Lab.

1. Sa vision du low-tech

Pour elle, le low-tech se rapproche davantage du right-tech :

“développer une technologie pour répondre à un besoin réel, en open source, mutualisée, documentée en ligne, avec du matériel local et assemblable dans n’importe quel fablab”

Cette définition insiste sur la sobriété raisonnée : la justesse technique plutôt que la simplicité absolue.

2. Activités menées

Les ateliers proposés reflètent cette philosophie :

  • Fabrication de marmite norvégienne
  • Conception de séchoir solaire
  • Travaux intersemestre (avec le Low-Tech Lab) : test de la fiabilité et du rendement de différents isolants, comparaison de performances

Ces formats combinent manipulation et évaluation : expérimenter, mesurer, puis documenter.

3. Freins identifiés

Plusieurs limites concrètes ressortent :

  • Les participants doivent financer les consommables, freinant la participation
  • L’image de la low-tech reste marquée par un côté « bricolo du dimanche » ou « bobo écolo », qui nuit à sa crédibilité scientifique
  • La documentation manque de rigueur. Beaucoup expérimentent avec les moyens dont ils disposent et partagent ensuite en ligne, sans que l’on sache réellement comment l’objet vieillit ni quelles sont ses performances. En somme, il existe peu de protocoles permettant de comparer les matériaux ou la durabilité des objets fabriqués.
4. Pistes d’amélioration

Claire Morvan propose la création d’une grille low-tech standardisée : une fiche d’évaluation pour chaque objet low-tech, reposant sur des paramètres mesurables (durabilité, efficacité, réparabilité…).

Cette approche rapprocherait la pratique artisanale du low-tech d’une documentation scientifique et professionnelle, tout en maintenant ses valeurs : utilité, accessibilité, durabilité.

5. Synthèse – Lecture par rapport aux hypothèses
Hypothèse Observation Validation
H1 : l’image de la low-tech est un frein L’aspect “bricolo du dimanche / bobo écolo” altère la crédibilité auprès d’un public non initié. Validée
H2 : ressources peu adaptées / peu attractives Manque de documentation précise, comparée, mesurable → absence de protocole commun. Validée et précisée
H3 : difficulté d’adapter aux publics Les ateliers doivent concilier ingénieurs, novices, étudiants → adaptation constante. Validée
H4 : apprentissage long / progressif La montée en compétence nécessite du temps et de la pratique mais moins que la high-tech. Partiellement validée

 

b. Pierre Lemoel (Enseignant de Technologie et Philosophie dans un collège du finistère)

Contexte

Pierre Lemoel enseigne la technologie dans un collège du Finistère, non loin de Châteaulin, avec un profil atypique : il est à la fois professeur de philosophie et de technologie. Son approche combine ainsi réflexion critique sur le progrès technologique et expérimentation concrète autour de la réparabilité et du recyclage.

1. La place du low-tech dans l’enseignement

La low-tech ou démarche sobre / frugale n’occupe qu’une petite partie du programme officiel, principalement dans les séquences sur l’obsolescence programmée et les cycles de vie des produits. A son échelle, ses cours visent à interroger les besoins réels et à amener les élèves à distinguer innovation utile et complexité superflue. “A-t-on vraiment besoin de maisons automatisées ?”. Ce type de réflexion permet également de développer l’esprit critique des élèves.

2. Pédagogie et activités mises en place

Faute de temps et de cadre programmatique dédié, Pierre Lemoel s’appuie sur des outils concrets pour rendre la démarche tangible. Il utilise notamment des robots pédagogiques pour enseigner la réparabilité et stimuler la curiosité technique des élèves.

Les “convaincus” poursuivent souvent déjà ce type de projets chez eux, tandis que les “non-convaincus” se prennent au jeu lorsqu’un résultat concret émerge.

In fine, ces ateliers “à résultat visible” permettent d’accrocher un public plus large, au-delà des élèves déjà sensibles à l’électronique ou aux problématiques environnementales.

 

3. Freins observés

Selon Pierre, les freins sont principalement culturels/contextuels et générationnels.

  • Les élèves, “nés avec la high-tech”, baignent dans le tout-numérique et peinent à percevoir l’intérêt de la sobriété technologique.
  • Il observe aussi une différence sociale : les jeunes hyper-connectés semblent moins réceptifs à la démarche low-tech, tandis que ceux issus de milieux moins technophiles y voient un espace d’expérimentation concret.

En somme, la low-tech reste marginale au collège, faute d’un temps suffisant dans les programmes et d’une visibilité institutionnelle.

4. Synthèse – Lecture par rapport aux hypothèses
Hypothèse Observation Validation
H1 : l’image de la low-tech est un frein Frein lié au contexte socio-technique : les jeunes hyper-connectés associent le progrès à la high-tech. Validée (reformulée en frein social ET générationnel)
H2 : ressources peu adaptées / peu attractives Sujet peu traité dans les programmes ; faible diffusion scolaire. Partiellement validée
H3 : difficulté d’adapter aux publics Les activités concrètes (robots, objets réparables) attirent les élèves non convaincus. Validée / précisée
H4 : apprentissage long Non abordée. NA

 

Conclusion

L’entretien avec Pierre Lemoel montre que la pédagogie low-tech peut s’intégrer à l’enseignement secondaire à condition d’être ancrée dans le concret. Les élèves ne rejettent pas l’idée de sobriété, mais ils ont besoin de voir un résultat immédiat pour s’y intéresser. Dans un système éducatif encore centré sur la performance numérique (et technique ?), rendre visible l’utilité du simple devient un véritable levier de médiation.

 

c. Emmanuel Dubreuil

Contexte

Responsable incubateur et développement de projet au sein de la Fondation Explore[1], Emmanuel Dubreuil. œuvre à la croisée de l’innovation, de la pédagogie et de la réindustrialisation locale. Ancien président du Low-Tech Lab, il a contribué à l’élaboration d’une bibliothèque numérique recensant les enquêtes du Lab, consultable sur le site officiel (Low-Tech Lab – Les actualités sur les Low-tech ou basses technologies)[2]. Il a également participé au lancement du programme Communauté du Low-Tech Lab[3], dont l’objectif est de mutualiser les ressources, compétences et initiatives du réseau.

 

1. Le low-tech : une philosophie avant d’être une technique

Pour Emmanuel, la technique n’est qu’une composante d’une réflexion bien plus large. La low-tech, explique-t-il, s’attache aujourd’hui autant à la sociologie et au design de la démarche qu’à l’aspect purement mécanique ou matériel. Il cite la publication Low-Tech Principles d’Audrey Tanguy et Valérie Laforest comme référence : une approche qui met en avant les dimensions humaines, sociales et culturelles du mouvement.[4] La low-tech ne se limite pas à “faire simple”, mais à “faire juste”, à replacer la technique au service du vivant et de la société.

2. Actions et leviers de démocratisation

Pour vulgariser les connaissances techniques et rendre la démarche accessible, le Low-Tech Lab agit à travers plusieurs leviers :

  • Ateliers de réparation (ex. : mobylettes, vélos, cuisine) permettant de pratiquer et d’apprendre en groupe. Parfois, un changement de sémantique pour adapter le discours aux différents publics est nécessaire.
  • Tiers-lieux comme les fablabs, espaces de formation et d’expérimentation ;
  • Matériel open-source hardware, garantissant la transparence et la reproductibilité ;
  • Forum low-tech, pour relier initiatives, projets et retours d’expérience.

(Cette approche mêle pratique et transmission : elle abaisse les barrières techniques tout en favorisant une culture commune de la sobriété.)

3. Problématiques et enjeux actuels

Deux grands défis ressortent de son témoignage :

  • Réindustrialisation et formation : la France manque de techniciens qualifiés. Il faut remettre la technique au cœur de l’éducation, valoriser les savoir-faire manuels comme la soudure, la maintenance ou la réparation.
  • Diffusion et standardisation de la connaissance : la documentation low-tech est encore trop éparse. Emmanuel insiste sur la nécessité de créer des standards de documentation pour faciliter la recherche et la transmission d’informations fiables.
4. Freins identifiés

Deux obstacles majeurs ressortent :

  • Les politiques publiques, souvent déconnectées des réalités de terrain, notamment dans la réforme des filières techniques et professionnelles.
  • La méconnaissance du corps enseignant technique sur la question de la réindustrialisation et des besoins concrets en compétences manuelles.
5. Synthèse – Lecture par rapport aux hypothèses
Hypothèse Observation Validation
H1 : l’image de la low-tech est un frein La perception “retour en arrière” persiste, freinée par les logiques institutionnelles et politiques. Validée
H2 : ressources peu adaptées / peu attractives Documentation éparse, besoin de standards pour rendre la connaissance accessible et fiable. Validée / précisée
H3 : difficulté d’adapter aux publics Nécessité de changer de vocabulaire selon les audiences et de créer des lieux d’expérimentation. Validée
H4 : apprentissage long / progressif La montée en compétence nécessite des lieux de pratique et de partage (tiers-lieux, ateliers). Validée

 

Conclusion

L’entretien avec Emmanuel Dubreuil. replace la low-tech dans une dynamique à la fois philosophique et industrielle. Au-delà de la fabrication d’objets, il s’agit de refaire société autour de la technique : redonner sens au geste, structurer la transmission, et créer des outils de documentation communs. Sa vision montre que l’avenir du low-tech ne repose pas seulement sur l’invention, mais sur la formation, la mesure et la mutualisation.

d. Thomas Rivière

Contexte

La rencontre avec Thomas Rivière, membre actif du Low-Tech Lab Brest, s’est déroulée lors de la journée portes ouvertes du 27 septembre 2025. L’objectif était de découvrir les activités de l’association, ses projets et sa démarche autour des technologies sobres et accessibles, ainsi que d’identifier des pistes pour un futur projet étudiant intégrant une dimension low-tech et connectée.

 

1. Présentation du Low-Tech Lab

L’association rassemble une communauté de profils variés :  principalement des passionnés de bricolage et des personnes intéressées par la démarche low-tech. Elle fonctionne essentiellement grâce à des bénévoles, qui assurent les permanences et animent les ateliers. Chaque année, les membres définissent collectivement les projets à réaliser. Le Lab met également à disposition des machines et propose des ateliers d’initiation pour apprendre à les utiliser.

2. Réalisations observées

Les prototypes présentés lors de la visite illustrent la diversité et la concrétisation du low-tech :

  • Séchoir solaire : permet de sécher les aliments grâce à l’énergie solaire ;
  • Éoliennes : une petite, capable de recharger un téléphone et une plus grande, alimentant des batteries ;
  • Fours solaires : plusieurs modèles atteignant des températures élevées ;
  • Marmite norvégienne : dispositif de cuisson lente, économe en énergie ;
  • Douche économe : réduit la consommation d’eau.

Ces objets incarnent la philosophie du Lab : des solutions réalisables à la maison, sobres, reproductibles et ouvertes.

3. Vers des projets low-tech connectés

L’équipe du Lab a également partagé plusieurs idées de projets pouvant intégrer une dimension numérique. Deux projets phares ont été présentés :

  • Hébergement solaire du site web : le site serait hébergé sur une carte électronique photovoltaïque, alimentée par batterie. Il ne serait accessible que lorsque la charge énergétique le permet, incarnant ainsi la dépendance directe à l’environnement.
  • Capteurs pour la documentation collaborative : conception d’objets connectés intégrables aux prototypes (low-tech) afin de mesurer leurs performances (température, rendement, efficacité énergétique). Les données seraient alors publiées sur un site commun et chaque contributeur disposerait d’un accès pour ajouter ses résultats, permettant ainsi de comparer plusieurs versions d’un même objet (marmite norvégienne, four solaire, douche économe, etc.). Cette logique vise à professionnaliser et fiabiliser la documentation des réalisations low-tech.
4. Ressources et accompagnement

Le Lab met à disposition un wiki très complet [5], recensant les projets documentés.
Les particuliers ou étudiants peuvent :

  1. Reproduire des objets au sein du fablab avec l’aide des bénévoles ;
  2. Contacter l’association (bonjour@lowtechlabbrest.org) pour être intégrés au serveur Discord et échanger directement avec la communauté.

 

5. Synthèse – Lecture par rapport aux hypothèses
Hypothèse Observation Validation
H1 : l’image de la low-tech est un frein L’association attire surtout des passionnés ; la démarche peut paraître “niche” ou réservée aux initiés. Validée / nuancée
H2 : ressources peu adaptées / peu attractives Documentation riche mais exigeante, le wiki suppose déjà des compétences de base. Validée
H3 : difficulté d’adapter aux publics Les ateliers nécessitent un accompagnement selon le niveau des participants Validée
H4 : apprentissage long / progressif Les participants apprennent par essais-erreurs → la montée en compétence requiert du temps et de la pratique. Validée
Conclusion

Cette immersion au Low-Tech Lab Brest révèle la vitalité d’une communauté expérimentale, où la sobriété technologique s’enrichit d’une culture du partage. Entre bricolage collaboratif et documentation numérique, le Lab démontre que la low-tech n’est pas un retour en arrière, mais un espace d’innovation ouverte.  Son principal défi : rendre ces savoirs accessibles à des publics plus variés, sans perdre la rigueur et l’esprit collectif qui font sa force.

 

e. Tom Le Bihan et Gwen Martin

Contexte

Tom Le Bihan (docteur en biophysique) et Gwen Martin (docteur en hyperfréquence) sont aujourd’hui fab managers et chercheurs au sein de l’UBO Open Factory, laboratoire d’innovation et fablab universitaire de Brest. Ils ont tous deux fait leur thèse à l’UBO. Leur structure accueille des publics très divers : étudiants, enseignants-chercheurs, entrepreneurs et particuliers. L’Open Factory constitue ainsi un espace-pont entre innovation technique, intelligence collective et formation à la créativité. Elle soutient des projets extrêmement variés : de la découpe laser pour les prototypes à la gestion de projets internationaux d’innovation. Pour cela, leur FabLab pratique et forme à la méthode du “double diamant”, qui permet d’apprendre à reformuler un besoin avant de concevoir la solution.

2. Leur vision de la low-tech

Même si l’Open Factory n’est pas, à proprement parler, un fablab low-tech, Tom et Gwen partagent une sensibilité forte pour la sobriété de conception. Gwen cite Antoine de Saint-Exupéry : « La perfection est atteinte, non pas lorsqu’il n’y a plus rien à ajouter, mais lorsqu’il n’y a plus rien à retirer. »[6]

Pour eux, la low-tech consiste à simplifier intelligemment, à revenir à l’essentiel des fonctions, et à favoriser une vision systémique :

« Dans la high-tech, chaque partie d’un projet est développée par des spécialistes différents ; la low-tech permet à une seule personne de concevoir l’objet de A à Z. »

Cette autonomie technique rend la démarche à la fois plus concrète et plus formatrice.

3. Atouts et freins, et leviers de démocratisation
  • Atouts : visibilité immédiate du produit fini, compréhension globale du processus de fabrication, sentiment d’autonomie.
  • Freins : résistance au changement et vision de “retour en arrière” avec la low-tech, doublées d’une inertie structurelle dans une économie tournée vers le high-tech.

Pour démocratiser la démarche low-tech, les deux chercheurs considèrent les fablabs comme des leviers essentiels :

  • formation à la gestion de projet avec un fort accent sur la créativité et l’idéation (méthode du double diamant),
  • modules de formation low-tech (en cours de développement) ouverts à tout public : étudiants, entrepreneurs ou citoyens,
  • accompagnement des porteurs de projets sobres, qu’ils soient scientifiques ou professionnels.
4. Applications et projets évoqués

Leur champ d’action dépasse la sphère académique. Gwen travaille par exemple avec des éleveurs laitiers sur des dispositifs de traite low-tech :

  • simplification du matériel sous contrainte de normes,
  • adaptation des équipements pour permettre la réparation et la maintenance locale,
  • réflexion sur les modes de production : passage à une monotraite, réduction du soja importé, baisse des coûts et du temps de travail.

Ces projets témoignent d’une application directe de la frugalité technique dans des secteurs professionnels contraints. Gwen souligne un enjeu clé : la conformité aux normes industrielles. Les objets low-tech restent soumis aux mêmes réglementations que leurs équivalents conventionnels, mais leur simplicité permet paradoxalement de réduire le nombre de normes applicables. Par exemple, si un dispositif traditionnel intègre de l’électricité et doit respecter les normes électriques, sa version low-tech simplifiée, conçue sans électricité, échappera naturellement à ces contraintes normatives. Cette simplification facilite également la maintenance locale : chaque chef d’entreprise peut assumer la responsabilité des réparations effectuées sur son matériel, la low-tech impliquant ici un retour à la maîtrise de l’outil.

5. Synthèse – Lecture par rapport aux hypothèses

 

Hypothèse Observation Validation
H1 : l’image de la low-tech est un frein La low-tech est souvent perçue comme un “retour en arrière” : la résistance culturelle demeure forte. Validée
H2 : ressources peu adaptées / peu attractives Peu abordée ; non pertinente ici (focus sur perception et formation). NA
H3 : difficulté d’adapter aux publics Nuancée : création de modules de formation ouverts à tous ; adaptation déjà en cours. Précisée 
H4 : apprentissage long ? Validée : l’apprentissage est certes long, mais se concrétise rapidement en réalisations tangibles. Précisée / Validée
Conclusion

L’entretien avec Tom Le Bihan et Gwen Martin illustre une vision ouverte et systémique de la low-tech. En redonnant à chaque individu la capacité de concevoir et de réparer, ces fab managers montrent que la simplicité peut devenir un levier d’innovation. Leur démarche, à la croisée de la formation et de la recherche, souligne une conviction : la low-tech n’est pas un retour en arrière, mais un retour au sens.

5. Conclusion partielle – Enseignements de l’enquête terrain

L’ensemble des entretiens menés permet de confirmer que la diffusion du low-tech n’est pas freinée par un manque total d’intérêt, mais par un intérêt fragile et inégalement réparti, qui se heurte à des freins structurels et culturels, qu’ils soient économiques, sociaux ou techniques. Ce constat rejoint celui établi dans notre état de l’art : la démarche low-tech attire, mais reste encore difficile à s’approprier.

Les médiateurs interrogés, enseignants, fab managers, chercheurs, convergent vers un même constat : la démarche low-tech reste perçue comme exigeante tant sur le plan du temps que des compétences. Elle souffre d’une documentation morcelée, dont la qualité et la profondeur varient d’un projet à l’autre ; les tutoriels disponibles sont parfois trop sommaires, parfois trop techniques, et rarement pensés pour être réutilisés ou comparés. Cette hétérogénéité limite sa diffusion auprès d’un public non initié.

 

Sur le plan analytique :

  • H1 est validée : l’image de la low-tech, associée au “bricolage du dimanche”, freine son appropriation.
  • H2 est confirmée : la documentation existe, mais elle est trop éparse et parfois trop technique pour les novices, ou au contraire trop simplifiée pour les plus expérimentés. Elle reste donc mal adaptée à la diversité des profils.
  • H3 est partiellement validée : l’adaptation aux publics reste difficile, même si des lieux comme l’UBO Open Factory, le Low-Tech Lab de Brest ou certains enseignants parviennent à la rendre plus accessible.
  • H4 est nuancée : l’apprentissage prend du temps, mais la pratique directe et la réalisation complète d’un objet peuvent compenser cette lenteur par une compréhension plus solide. De plus, la pratique directe et la répétition font gagner en aisance, la simplicité venant avec l’habitude.

En somme, le problème ne réside pas dans le manque de ressources, mais dans la manière de les présenter et de les contextualiser. Les médiateurs ont besoin d’outils simples et souples, capables de trier, d’adapter et de mettre en valeur les savoirs existants.)

Ces constats nous ont conduits à faire évoluer notre solution initiale. Plutôt qu’une application de reconnaissance d’objets, notre projet se réoriente vers un site web collaboratif et modulaire, développé avec un client réel, permettant la génération automatique de tutoriels contextualisés.

Cette évolution répond directement aux besoins exprimés par les acteurs rencontrés : une documentation plus rigoureuse (Claire Morvan), des standards de partage (Emmanuel Dubreuil), une documentation collaborative (Thomas Rivière) et des formations ouvertes à tous (Tom Le Bihan & Gwen Martin).

Cette conclusion partielle ouvre la voie à une conception plus centrée sur l’usage, là où la médiation devient la clé. Pour comprendre à qui s’adresse vraiment cette solution, nous avons ainsi cherché à incarner nos utilisateurs à travers trois profils types.

PARTIE 2 : Personas

Introduction

À partir des données recueillies lors de l’enquête terrain, nous avons identifié deux profils types incarnant les utilisateurs cibles de notre projet :

  1. les médiateurs, comme les Fab Managers, qui diffusent la démarche low-tech et cherchent à la fois à gagner du temps et à rendre leurs ateliers plus accessibles
  2. les novices curieux, désireux de se lancer dans des projets sobres mais freinés par le manque de confiance et/ou de ressources accessibles (souvent perdus face à une abondance de ressources peu hiérarchisées ou trop spécialisées)
  3. les enseignants, qui puisent dans la plateforme pour trouver des projets pédagogiques adaptables à leurs contraintes de classe et transmettre une culture technique low-tech à leurs élèves

Ces personas, construits à partir des entretiens et des observations, nous permettent d’incarner les besoins, les attentes et les contraintes de notre solution.

Les Personas

Conclusion finale – Vers une solution collaborative

L’enquête terrain et la construction des personas confirment que la clé de la diffusion du low-tech réside dans la médiation.  Pour les fab managers et enseignants comme Aude et Ethan, ainsi que pour les débutants tels que Daniel, il ne s’agit pas seulement d’apprendre à fabriquer, mais de trouver les bons points d’entrée : des ressources fiables, attractives et contextualisées qui répondent aux besoins spécifiques de transmission, d’autonomisation ou d’inspiration pédagogique.

Le projet Maker Lens devient ainsi un site web intuitif et modulaire conçu pour :

  • générer des tutoriels personnalisés selon le profil et le besoin des utilisateurs ;
  • agréger et valoriser les ressources existantes issues des wikis et des fablabs ;
  • favoriser la collaboration entre écoles, associations et communautés ;
  • et rendre la documentation plus vivante, mesurable et partagée.

Cette orientation répond aux attentes exprimées sur le terrain : professionnaliser la documentation tout en conservant l’esprit frugal et ouvert du mouvement. Elle ouvre la voie à une phase de conception, en partenariat avec un client réel, afin de tester les parcours utilisateurs et valider la pertinence des fonctionnalités proposées.

En redonnant aux médiateurs les moyens d’agir et aux citoyens les moyens de comprendre, Maker Lens entend contribuer à la démocratisation d’une culture du “faire simple”, une culture à la fois technologique, pédagogique et humaine.

 

PARTIE 3 : Annexes

 

Acronymes

UBO : Université Bretagne Ouest

NA : non abordé.e.s

 

Bibliographie

  • [1] Fondation Explore | fonds-explore.org
  • [2] Low-Tech Lab, « Actualités / Blog », ? | lowtechlab.org
  • [3] Low-Tech Lab, « Archipel des communautés low-tech » | lowtechlab.org
  • [4] Audrey Tanguy, Valérie Laforest, Les frontières du Low-tech : principes-clés identifiés dans la littérature. [Rapport de recherche] PRC20.1 – L1.1, Mines Saint-Etienne. 2021, 21p. | hal.cnrs.fr
  • [5] Low-Tech Lab, « Wiki » | lowtechlab.org
  • [6] Antoine de Saint-Exupéry, Terre des hommes, Editions Gallimard, février 1939.

Laisser une réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.